Située à 4.070 mètres d'altitude, la Villa Imperial comme on la surnomme ici est la ville de plus de cent mille habitants la plus haute du monde ! Potosi, c'est son nom, est aussi et surtout connue pour son activité minière qui, depuis l'époque coloniale a fait la notoriété de la ville.
Lorsque les Espagnols posèrent le pied sur les côtes de ce qui allait devenir le continent sud-américain, leur ambition était certe de coloniser ces nouvelles terres, mais surtout de mettre la main sur les richesses légendaires de ces terres qu'ils croyaient comme les Indes. S'ils n'ont jamais mis la main sur le mythique El Dorado ni trouver le trésor caché des Incas, ils ne passèrent pas à côté du Cerro Rico, imposant sommet qui culmine à près de 4.500 mètres et qui renferme une quantité impressionnante de minerais : argent, plomb, cuivre notamment.
Le Cerro Rico, aux portes de la ville |
Tandis que les Espagnols s'enrichirent considérablement grâce à ces mines, considérées parfois comme la huitième merveille du monde, les Quechuas et Aymaras locaux (hommes, femmes, enfants), devenus Boliviens au début du XIX° siècle, furent réduits au rôle d'esclaves, arpentant les dizaines de galeries creusées dans la roche.
Un lingot d'argent provenant d'une caravelle espagnole, marqué comme provenant de Potosi, visible à la Casa de la Moneda, transformée en musée de la ville. |
De cette période, la ville de Potosi a gardé son style architectural et le centre-ville se retrouve ainsi truffé de bâtisses coloniales aux couleurs chatoyantes qui nous rappellent le quartier colonial de La Paz ou encore la ville péruvienne d'Arequipa.
De petites rues aux accents médiévaux, des balcons mis à toutes les sauces, Potosi respire l'architecture coloniale comme on ne peut que l'apprécier !
C'est aussi dans cette séduisante ville perchée sur l'Altiplano que nous retrouvons Elena et Marion, deux Françaises croisées une semaine plus tôt à La Paz. L'occasion de casser la graine ensemble et de vider quelques bouteilles de bière. Il faut dire que depuis que nous faisons la route avec Luigi et Andrea, on a décuplé notre consommation de bière ! A présent, la Pacena, la Huari ou la Potosina n'ont plus de secrets pour nous !
Avec le jeu du capitalisme, les mines d'argent qui avaient fait la renommée de la ville (et la richesse des conquistadores) furent peu à peu vendues par les Espagnols à de grandes multinationales actives dans le secteur minier. Mais en 1952, le gouvernement bolivien décide de nationaliser l'ensemble des mines ! Et donc de bouter hors du territoire national les grandes entreprises qui jusque là avaient développé les mines.
La nationalisation des mines a eu lieu en 1952 |
Comme vous pouvez l'imaginer, le développement des mines et de leur infrastructure n'a pratiquement plus bougé depuis ... N'ayant pas vraiment les moyens de développer les mines, le gouvernement bolivien a en effet revendu les galeries sous forme de concessions aux mineurs, qui se sont organisés en coopératives. Aujourd'hui, ce sont donc de nombreuses coopératives (et parfois des mineurs solitaires qui ont acheté une petite concession) qui parcourent et creusent l'antre du Cerro Rico... sans pour autant se coordonner de la meilleure des façons ! Le risque d'éboulement est paraît-il assez grand !
Quoiqu'il en soit, les mineurs de Potosi continuent de creuser et récolter les minerais, dans des conditions dantesques ! 8 heures de travail par jour pour un salaire quotidien avoisinant les 100 BS (soit 10€), un salaire "correct" pour un Bolivien mais qui ne tient pas compte des risques encourus et des conditions de travail qui sont aujourd'hui, en 2012 donc, semblables à ce qu'ont connu les mineurs italiens ou turcs dans les charbonnages wallons dans les années cinquante !
Juste deux rails qui s'enfoncent dans le noir-obscure du Cerro Rico. Croyez-le ou non, mais cette galerie est l'un des principaux axes de la mine que nous avons visitée ! |
Outre les odeurs de soufre et de silice (les mineurs sont notamment victimes de la silicose à cause des fines particules de silices qu'ils respirent) qui rendent la respiration difficile, la température monte jusqu'à 40 degrés dans les coins les plus chauds ! Il faut dire que la technique employée par les mineurs pour creuser est la... dynamite ! Celle-ci explose à 2.000° ! Et ce ne sont pas les quelques galeries mises en commun et formant ainsi un léger courant d'air qui rendent l'atmosphère plus vivable ...
Vous vous en doutez, en tant qu'ingénieur en mines et géologie, Fanny ne pouvait passer à côté de pareille expérience ! D'autant que Romain était assez excité à l'idée de "vivre l'une des plus éprouvantes mais formidables expériences que l'on peut faire sur le continent" (dixit les guides).
Nous voici ainsi partis, accompagnés de nos amis Nico, Andrea et Luigi, déguisés en mineurs, vers le Cerro Rico, guidé par Rolando, alias Fox, ancien mineur devenu guide touristique.
Romain prêt à affronter les odeurs de soufre ! |
Fanny se dit qu'elle s'habillerait bien comme cela toute l'année ! |
"Fox" nous explique quels minéraux nous allons voir |
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Fanny se montre particulièrement intéressée par les explications données par "Fox" |
Nico ne semble pas rassuré par le bâton de dynamite qu'il tient en main ! |
L'occasion aussi d'acheter quelques cadeaux pour les mineurs puisque la mine que l'on va visiter n'est pas un musée, mais bien une mine en activité, avec donc les mineurs qui travaillent !! L'organisation de visite (en petits groupes de touristes) est ainsi tolérées par les mineurs "à condition de leur apporter des cadeaux" ! Quels cadeaux ? Dynamite, alcool, mais aussi jus de fruit et eau minérale pour se rafraîchir, et surtout feuilles de coca !
Un mineur (à gauche) s'offre trois minutes de pause pour mâcher des feuilles de coca |
Car la coca, les mineurs en mâchent dans des quantités astronomiques ! Il faut dire que les vertus de la plante de coca sont particulièrement appréciées des mineurs (valeur nutritive, anti-fatigue). Ils en font ainsi la seule nourriture de leur journée passée dans la mine ! Car après un petit déjeuner copieux, ils s'engouffrent dans la mine pour n'en ressortir que huit heures plus tard.
Dès le début de la visite, nous sommes ainsi marqués par trois choses : le côté étroit des galeries faites de bric et de broc, l'odeur forte qui émanent de la roche, les faciès marqués et déformés (par la boule de coca notamment) des mineurs.
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Fanny se faufile dans les galeries exigues de la mine |
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Des galeries dignes des charbonnages des années cinquante en Belgique ! |
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Des murs couverts de soufre, de cuivre et même paraît-il d'amiante ! |
L'avancée dans les galeries est difficile et doit se faire avec précaution : les wagonnets (qui fonctionnent sur batteries au niveau 0 ou poussés par deux mineurs et tirés par un autre aux niveaux inférieurs) roulent, les couloirs sont bas, il faut parfois ramper, escalader, et encore, on a de la chance : aucune explosion à la dynamite n'est prévue durant notre visite !
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Fanny s'aprête à descendre au niveau -1 et à descendre les 55 mètres de dénivelé |
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Les wagonnets prennent juste un peu moins de place que la largeur des tunnels ! De quoi faire attention quand on en croise un ! |
Dans les galeries à peine éclairées, nous croisons quelques mineurs de tous âges. Fox nous explique que si l'âge légal pour travailler dans les coopératives de mineurs est de 18 ans, il est fréquent de croiser des adolescents de 12, 13 ans ou plus ! Ceux-ci sont n'ont pas d'autres alternatives pour aider à faire vivre leur famille ! Les coopératives prennent ainsi un gros risque en faisant travailler des jeunes illégalement. Mais un risque à peu près calculé : les travailleurs illégaux gagnent dix fois moins que leurs aînés !
Nous croisons aussi des mineurs d'âge mur, ainsi qu'un vieil homme de soixante ans ! Il officie un peu comme chef d'équipe. Il faut dire que dans les coopératives, il n'y a pas d'autorité, si ce n'est que l'expérience offre une paye parfois un peu plus avantageuse. Il s'agit plus de syndicats qui organisent entre eux les conditions de travail (horaires, montants de la paye, ...).
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Andrea pose à côté du vétéran de l'équipe de mineurs que nous croisons au coeur de la mine |
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A plus de 35 degrés, les mineurs déchargent à la main et à la pelle le contenu des wagonnets qui arrivent du point d'extraction |
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Un boulot harrassant avec pour seul matériel un casque et une loupiotte |
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Romain a donné quelques coups de pelle lui aussi ! |
Une expérience marquante, donc, dans un tout autre registre que les paysages du Sud-Lipez ou d'Uyuni qui font de la Bolivie un pays aussi passionnant que l'Equateur ou le Pérou à parcourir, à vivre.
Pour être complets sur le travail de la mine à Potosi, il faut savoir qu'il existe également 33 entreprises de traitement de minerais à Potosi. Celle-ci possèdent à elles toutes le monopole du traitement de minerais extraits du Cerro Rico. Chose aberrante quand on voit les installations de certaines !
Comme le soulève Fanny, "c'est fou de voir que chacune tente de survivre ou vivoter alors qu'ensemble elles pourraient concurrencer de grandes entreprises multinationales" ! Car il existe malgré tout quelques entreprises (américaines ou canadiennes notamment) qui ont pu ces dernières années mettre la main sur certaines concessions. Mais cela ne durera pas longtemps. En effet, Fox nous annonce que selon les dernières prévisions, l'essentiel des ressources minérales seront épuisées d'ici dix ans ! Chose qui soulève une autre question : que vont devenir tous ces mineurs et cette ville qui vit essentiellement de l'activité minière ? Aux dires de Fox, les négociations et plans provinciaux sont (très) loins d'aboutir. Chose qui ne rassure pas les mineurs. Et qui, dorénavant, ne nous rassure pas non plus. Comme le dit Andrea, "nous n'avons passé que deux heures dans la mine, mais cela fut éprouvant, difficile et on n'ose imaginer possible de rester dans cette fournaise huit heures durant".
Car c'est bien cela qui nous restera comme image : ces conditions dantesque que l'on ose imaginer depuis notre Europe modernisée à l'extrême. Des images qui nous rappellent des cartes postales du Bois du Casier ou des mines de Blégny quand celles-ci n'existaient qu'en noir et blanc ! Des images qui font froid dans le dos et qui marquent à jamais celles ou ceux qui les vivent. Et, à nouveau, comme disait Andrea, "nous n'avons pourtant vécu cette incroyable expérience que deux heures durant" ...
Se soulèvent également les questions de santé humaine et d'environnement. Les mineurs ne bénificient d'une assurance santé que s'ils ont cotisé pendant leur vie de travail; et pour ceux qui ont cotisé, c'est souvent leur famille qui voit la couleur de cet argent, eux ayant souvent succombé aux maladies associées aux conditions de travail dans la mine. Au niveau de l'environnement, notre guide nous affirme que les eaux chargées de cyanures sont stockées dans un endroit sûr mais Fanny en doute! Transporter toutes les eaux contaminées des différentes usines detraitement paraît peu réaliste...
Romain
La mine : effrayant, consternant. Le politique ne s'y intéresse visiblement pas. Et les ONG ?
RépondreSupprimerSuis chaque fois "soufflé" par le gouffre abyssal entre notre monde occidental et... le reste de la Planète, en ce qui concerne une certaine conception de la sécurité : mesures de prudence (parfois) excessives ici, laisser-aller (souvent) total là-bas.
RépondreSupprimerLes conditions de travail des mineurs de Potosi nous en offrent, me semble-t-il, un nouvel exemple édifiant !
Cela écrit, vous êtes vraiment "touchants" en équipement de mineur. Surtout Fanny avec son casque d'une élégance rare !
Bonne continuation !
Pap'
Fanny a dû apprécier tout particulièrement cette journée !
RépondreSupprimerUn alcool à 96° ? C'est pour s'anesthésier la gorge ça !
Mais au moins, je suppose que vu le degré, ils sont moins sujets à se mettre une mine (haha !). Et ça vaut mieux histoire de ne pas faire joujou avec la dynamite !